Petits yeux qui s'ouvrent sur un monde faible et emplit de noirceur. Dehors l'orage gronde et toi, de tes petites mains, tu tente désespérément d'attirer à toi la douce couverture qui recouvre ton corps frêle. Tu es si fragile et pourtant déjà tu semble prendre une place sur cette terre hostile qui t'a ouvert les bras quelques jours plus tôt. Jade. C'était le prénom que l'on t'avait donné. Comme si porter l’appellation d'une pierre pouvait être une chose agréable pour une enfant. Comme si les parents avaient songé une seule seconde à ce qu'un enfant pouvait ressentir en apprenant la signification ou l'origine de son prénom. Au-dessus de toi, deux yeux étranges te fixent avec avidité. Étrangement, il ne s'agit ni de maman, ni de papa. Aucun des deux n'assiste à tes premiers gazouillis amusés, aucun des deux n'est là pour veiller sur toi aujourd'hui. Loin, ils t'ont laissé au bon soin d'une vieille servante aigrie et constamment fatiguée qui ne pensait jamais une seconde à toi. Probablement même que maintenant, alors que l'horrible personne au-dessus de toi te surveillait, la dame était-elle morte, froidement assassinée. Un rictus. Ce genre de mauvais rictus qui fait peur, presque froid dans le dos. Mais toi tu te contentes de regarder autour de toi, surprise que le monde soit si sombre, si peu accueillant. On t'avait pourtant promis l'amour et la tendresse. Ou était passée la chaleur de maman ? Un éclair déchira le ciel et la silhouette disparue subitement. Tout s'effaça comme si cela n'avait été qu'un rêve. A qui irais-tu raconter ce qu'il venait de se produire ? Quand papa et maman reviendrait à la maison, après leur soirée passée chez des amis, probablement ne trouverait-il qu'une vieille dame qui avait choisi de partir, car trop usée par sa triste et longue vie. Et personne ne chercherait à comprendre l'horrible machination dont la famille Wade était victime.  

Le monde continua pourtant sa course et toi tu poursuivis ton petit bonhomme de chemin. De quelques jours, tu eu bientôt un an, puis deux, puis trois. Érudite dans l'âme, intelligente et vive d'esprit, tu étais curieuse de tout, comme une petite chose qui s'émerveille de l'univers dans lequel elle gravite. Maman aurait préféré que tu t'amuses comme une jeune sorcière, Papa que tu sois plus discrète. Toi tu vivais juste chaque jour comme un événement particulier. Comme si tout était nouveau. Comme si tout était toujours à refaire. Tu aimais les livres, tu aimais les plantes, tu aimais les créatures magiques et dès que tu en avais l'occasion, tu filais hors de la grande maison de tes parents pour t'aventurer plus loin dans la nature, dans les champs, à l'orée la forêt. A cinq ans, petite et téméraire, tu t'éloignais suffisamment pour que tes parents ne puissent plus te surveiller. Comme aujourd'hui par exemple. Avec ta petite robe bleu marine, tes cheveux tressés et un petit sac à dos sur les épaules. Ton sourire aux lèvres et ton cœur léger, tu allas t'asseoir contre un arbre, loin de chez toi. Loin de tout. Seule, tu restas là à songer, à observer les oiseaux, à découvrir le monde sous un autre angle. « Tu es vraiment loin de chez toi petiote. Tu es perdue ? ». Tu te retournas rapidement et fixa avec méfiance l'homme et son chien, un peu plus loin. Il te fit un léger signe de main, comme pour te rassurer. Mais maman t'avait toujours dis de faire attention aux inconnus. « Je ne parle pas aux gens que je ne connais pas. Désolée. ». Il avait ri, franchement. Comme amusé par ton air farouche et ta petite moue. Il passa devant toi et s'éloigna en ajoutant simplement « Ne t'excuse pas, tu as bien raison. Soit juste prudente ! » Tu les regardas partir, le gros chien noir et lui, jusqu'à ce qu'ils ne soient plus que des points dans le lointain paysage. C'était la première fois que tu rencontrais quelqu'un qui n'était pas de ta famille et qui n'était pas un employé de la maison.

Il s'appelait Christmas et c'était un beauceron. Le chien. C'est Joe, son maître, qui te l'apprit quelques semaines plus tard. Entre vous trois, une relation amicale et bienveillante s'installa. Il t'apprenait ce qu'il savait des moldus et en échange, tu lui apprenais ce que tu savais de la sorcellerie, de ce que papa et maman faisaient dans leurs vies, de comment était la maison et d'une foule d'autres choses qu'une enfant de ton âge pouvait dire sans même en mesurer les conséquences. « Papa et maman ne seront pas là demain soir. Et je serais toute seule. Je n'aime pas vraiment ça. ». Ce fut cette seule phrase qui changea ta vie.

Le lendemain, au soir ce fut l'horreur. Le sang, les hurlements. Tout fut macabre, horrible et sombre. Il avait suffit de quelques secondes aux deux bêtes féroces pour entrer dans la maison alors que tout avait été terriblement calme jusque là. Directement, l'une d'entre elle s'était dirigée dans ta chambre, comme si elle réfléchissait alors que l'autre s'était jetée sur l'unique personne présente, une nourrice engagée pour veiller sur toi, petit Jade. Derrière ta porte, cachée dans ton lit, les draps au-dessus de toi, tu priais doucement pour que les chiens arrêtent de faire autant de bruit. L'un d'entre eux défonça la porte et fonça sur ton lit, attrapant le tissus dans sa gueule et découvrant ton visage horrifié. « Christmas ? » Le chien grondait, mais ne te menaça pas. Légèrement rassurée, tu te redressas et assise tu cherchas son propriétaire du regard. La seconde bête sombre arriva lentement sur le palier de ta porte. Son pas était lourd, pesant, bien trop menaçant pour être ordinaire. « Joe ? C'est vous ? ». La bête s'arrêta, grogna. Comme pour te répondre. Comme si c'était bien lui qui avait cette allure disloquée, décharnée et terriblement sombre. Cette allure de Sinistros. Alors, le monstre se jeta sur toi. La suite fut étrange. Sanglante, mais étrange. Pas une morsure, mais trois, comme pour être certain que tu avais bien été attaquée. Tu t'évanouis sous l'horreur et la douleur. Et les deux bêtes repartirent ne laissant derrière elles que le chaos.

« Elle souffre de lycanthropie madame. Elle a été mordue par un loup garou. Et il était probablement conscient de ses actes. Ils peuvent l'être maintenant, avec la potion Tue-Loup. ». « C'est impossible. Il n'y a pas de remède ? S'il n'y en a pas, comment vas-t-on faire ? ».  « Pas de remède madame, il faudra simplement lui faire consommer la potion les soirs de la semaine précédent la pleine lune et bien l'attacher ce soir-là. C'est la seule solution madame. Vous voulez qu'on prévienne votre époux ? ». « Non. Ne lui dites rien. Il la tuerait. Je vais me débrouiller. Je vais m'arranger. »

Le secret apparu ainsi. Enfermée toutes les nuits de pleines lunes dans une cage, attachée comme un vulgaire chien. A souffrir seule et en silence. Loin de la maison, loin de la famille. Et cette haine naissante pour ceux qui ne voulaient pas de toi. Joe te retrouva. Joe t'apprit tout. Tout ce que tu devais savoir maintenant qu'il t'avait mordu. Il fit pénitence. Il t'expliqua qu'il avait voulu se venger de ton père, horrible personnage qui l'avait tant et tant de fois ridiculisé parce qu'il était différent. Il avait voulu lui imposer cette différence en te mordant. Tu n'éprouvas aucune rancune à l'égard de Joe, ton mentor, ton alpha. Tu avais juste honte des tiens et de leur prétendument sang-pur. Tu en voulais au monde entier de ce rejet.

Puis, longtemps après, tu reçus une lettre de Poudlard. Tu ne t'y attendais pas vraiment, toi qui étais déjà si âgée. Tu ne voulais pas vraiment y aller, à cause du mal dont tu souffrais. Ton père, ignorant de ton secret te l'imposa pourtant et ta mère prit soin d'informer le directeur de ta maladie, dans la discrétion la plus complète. C'était impensable, impossible. Tu allais subitement te retrouver éloignée de Joe, de Christmas, qui avaient réussi à rendre tes transformations si ce n'est moins douloureuses au moins plus acceptables. Pourtant, personne ne te demanda ton avis. Serdaigle se dessina sous tes yeux et tu dûs affronter l'horrible réalité qu'un jour ton secret serait découvert il qu'il créerait un véritable scandale. Mais tu ne voulais ni de ça, ni d'autre chose. Tu voulais juste courir dans les champs, avec tes amis, la langue pendante et les oreilles bien droites. Si seulement tu avais pu être libre au moins une fois dans ta vie.